Aux adorateurs du Grand
Saint Charles.
Le Journal « bête et
méchant », L'HEBDO hara-kiri, s'est fait « interdire à
l'affichage » par le ministre de l'intérieur (Marcellin). Cela
a amené la fin de ce journal.
Il faut savoir qu'un journal
non exposé voit son chiffre de vente dégringoler immédiatement de
75 %.
Cavanna a écrit les phrases
qui suivent, rapportées dans le supplément de Charlie-Hebdo
intitulé François Cavanna, paru le 5 février 2014, après son décès.
...« Tiens, un peu
d'histoire : initialement , cette loi avait vraiment pour but de
surveiller les publications « destinées à la jeunesse ».
C'était en 1949. Elle fonctionna dans sa petite spécificité
jusqu'en 1958, l'année où Charles le Sauveur, s'étant laissé
faire une douce violence, accepta de sacrifier sa paisible retraite
pour la tâche que l'on sait. Il avait besoin d'une bonne muselière
à journaux prête à servir pour le cas où. On n'est jamais trop
prudent. Mais, quelque chose de discret, hein, pas de vagues. On
chercha donc dans le bric-à-brac laissé par la IVème, et un
bricoleur de génie exhuma de là-dedans la loi sur les publications
pour la jeunesse. Bien tripatouillée, elle devint l'instrument de
mort que nous avons eu l'honneur de vous présenter. C'était en
1959.Cela passa inaperçu et c'était bien ce que désiraient le
Sauveur et sa Cour. Quelques vagues additifs à une loi sur les
journaux d'enfants, qui s'en fût soucié? Passez muscade.
Lisez le texte de cette
loi. C'est un chef-d’œuvre de concoction papelarde, un entrelacs
d'ambiguïtés, la Neuvième Symphonie de l'hypocrisie. Ah, les
vaches, les sournois ! Vous rendez-vous compte, bonnes gens et
vous, journalistes superbes, que la Presse française est sous le
régime des journaux pour enfants ? Les journaux « normaux »
sont Mickey, Spirou et Pif le Chien ! Tout
journal non spécialement conçu pour les enfants est suspect et tout
juste toléré. Une simple décision du ministre de l'Intérieur
(c'est-à-dire du ministre de la Police), décision dont il n'a à
rendre compte à personne, qu'il n'a pas à motiver et contre
laquelle il n'y a aucun recours, peut, en un instant, faire cesser de
vivre n'importe quel journal. La prétendue « logique »
de cette loi puante de scélératesse conduit à ceci : tout
journal qui n'est pas un journal pour enfants risque de tomber sous
les yeux d'un enfant. Il devrait donc être interdit à l'affichage.
Journalistes, vous êtes tous des interdits en sursis. » …
...Et
en 1959, de Gaulle - qui venait de prendre le pouvoir avec le coup
d’État de 1958 - a bidouillé une loi. La loi de surveillance des
publications destinées à la jeunesse est devenue une loi de
surveillance des publications supposées être dangereuses pour la
jeunesse. Si bien que la loi s’appliquait à toute la presse. En
réalité cette loi était une loi de coup d’État pour pouvoir
juguler toute la presse en cas de besoin : on les laisse mettre
du cul et de la violence tant qu’ils veulent et un beau jour on
leur dit "On vous interdit de continuer !". C’était
une interdiction à l’affichage : il était interdit de vendre
publiquement la publication et de lui faire de la publicité. La
seule solution était de la vendre sous le manteau. Et toute
tentative de refaire le journal était interdite, même en changeant
le titre et le format. C’est proprement l’assassinat d’un
journal. Et cette loi est toujours en vigueur aujourd’hui *!
La couverture "Bal
Tragique à Colombey" ne pouvait pas donner prise à cette
interdiction et il n’y avait ni injure, ni diffamation, ni
divulgation d’un secret d’État... C’était peut-être une
faute de goût, mais rien de plus ! Alors ils ont épluché un
an de publication et ils ont trouvé un enfant avec une quéquette à
l’air dans un dessin de Cabu - rien de pornographique - et des gens
qui s’embrassaient dans un dessin de Willem. Ça a été le
prétexte à l’interdiction à l’affichage. Finalement rien à
voir avec le titre "Bal Tragique...".
(http://ecorev.org/spip.php?article458)
* Loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse.
Version consolidée au 19 mai 2011
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000878175