« NUMERO 57,FEMME, ENVIRON VINGT
ANS »
Espoir du migrant: échapper à la
pauvreté, vivre une vie rêvée dans les bidonvilles a travers la
musique des paraboles. Quelle dose de courage et de désespoir il
faut pour dépenser son maigre patrimoine et tenter le coup du
passage sur un radeau! Et tous ces types qui, au nord, nous bassi-
nent avec « l’esprit d’entreprise
»... Où est-il, 1’esprit d’entreprise? Chez les Européens
épais comme des moines assis sur leur graisse et leur tas d’or,
entourés de gardes-côtes et de flics, ou
chez ces gars qui prennent par la main
femmes enceintes et enfants et s’en vont sur la mer mauvaise? Qui
sont les courageux? Ces super-Roms, ces clochards magnifiques, ces
Somaliens et ces Erythréens qui voguent vers Lampedusa, ou les
usuriers qui ont ruiné l’Afrique, détruit les économies
vivrières, pillé les ressources, fomenté des plans d’ajustement
structurels, soutenu des régimes corrompus, détruit des forêts et
des espèces superbes comme ces abrutis de Japonais qui commandent
des cornes de rhinocéros parce qu’ils ne bandent plus, avec la
bénédiction des Cochons du Désert qui placent leurs revenus du
pétrole en achetant des palaces à Paris? Ou installent des pistes
de ski sur leurs dunes?
Au fond, chasser le Rom, c’est ouvrir
le feu sur les radeaux de la Méduse s’efforçant d'accoster en
Europe. C’est enfoncer la tête des types en train de se noyer. On
pleure en France sur tous ces
cadavres de quinze ou vingt ans, mais
en même temps, on cogne sur les plus faibles des faibles. Il existe
un délit de complicité d'immigration clandestine; les pêcheurs
autour de Lampedusa ont
interdiction de porter secours aux
migrants clandestins... Mais quel monde! Quel beau monde libéral!
Car le libéralisme économique dont Monsieur Barroso nous rebat les
oreilles depuis douze ans de pantouflage à la Commission européenne
promeut la libre circulation de l’argent et des pacotilles, mais
celle des hommes, ah non! surtout pas! Quel monde, où la liberté
appartient aux
marchandises et au fric et est
interdite aux hommes! Il paraît que ce monsieur Barroso va se rendre
sur l’île de Lampedusa... Quoi faire‘? Compter les cadavres?
Hocher la tête devant ce cadavre
« femme n° 57 , environ 20 ans » ?
Prêcher les réformes structurelles du marché du travail. Demander
de rééquilibrer les budgets pour payer les intérêts aux personnes
de son espèce? Prier? Communier peut-être? Non, il va simplement
dire: « Il faut faire quelque chose. »
« La prochaine fois, on vous
apporte les morts au Parlement », criaient ces habitants de
Lampedusa aux parlementaires italiens. Mais, pauvres gens del’île,
pourquoi porter des cadavres devant des cadavres? Ne voyez-vous pas
que tous ces ardents libéraux et entrepreneurs et accumulateurs
d’argent de Rome, de Bruxelles ou de Strasbourg sont déjà morts?
Que leur Europe est un cimetière? Allons, n’exagérons pas: une
maison de retraite, avec majorité de grabataires. Tandis que
l'Amérique bloque un budget pour que les plus pauvres n’aient
surtout pas accès aux soins médicaux, l’Europe célèbre l&
joie de vivre dans l'équilibre budgétaire et les
bijoutiers qui flinguent les voleurs à
la tire. Tandis que les classes inférieures se noyaient, les
premières classes embarquées dans les
canots de sauvetage du Titanic pleuraient à chaudes larmes. Alors,
devant le drame de Lampedusa, tout sauf des larmes. Et là, M.
Barroso ayant digéré son ragoût arrosé de bourgogne dans un bon
hôtel de Lampedusa, essuyant sa bouche, tapotant sa bedaine, nous
dit : « Mais le libre-échange crée des emplois ! Le
libre-échange sauve l'Afrique. » Mais, bien sûr, c’est
exactement ce que pensait « femme n° 57, environ 20 ans »,
une vraie femme, cher Monsieur de la Commission européenne, avec
tout ce qui fait une femme, une femme qui a dû sourire au vent de la
mer et se serrer contre ses compagnons avant que le bateau prenne
feu. Messieurs les marchands de la Commission, les ergoteurs de «
l'efficacité économique » et de «l’esprit d'entreprise qui crée
des emplois », n’oubliez pas: numéro 57. Dans vos réunions
d’ectoplasmes des pays riches pour habitants trop gras,
souvenez-vous un instant : numéro 57, femme, environ vingt ans. Le
bel âge, non?
Jacques ajoutera : "La "classe politique" et "les gens" s'émeuvent, tout simplement parce que les morts ont été dénombrés lors du même naufrage."
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