mardi 21 août 2012

Repentance.


Des soldats exécutés par des maquisards en 1944 ont été inhumés dimanche dans un cimetière allemand. Pour «crever l'abcès».
Par LAVAL Gilbert (selon Libération)

Les pierres sont alignées, sans croix, sur une butte de la plaine de Saintonge. Berneuil, cimetière militaire allemand de 8 310 tombes. Deux fosses nouvelles y sont ouvertes. Au fond desquelles dix-huit urnes reposent en attendant l'ensevelissement. Ce sont les dépouilles récemment découvertes d'un soldat de la Wehrmacht abattu dans un accrochage avec la Résistance dans le Gers et celles de dix-sept autres, fusillés à l'automne 1944 par le maquis de la Dordogne, déterrés d'un champ de Saint-Julien-de-Crempse au début de ce mois.

«Soulagé». Emile Guet, 83 ans, reste discret dans la petite foule qui assistait dimanche à la cérémonie. Cet ancien résistant a arraché son village au silence pour que ces défunts ennemis retrouvent une sépulture. Les urnes sont arrivées à Berneuil pour ce 16 novembre, consacré jour de deuil national outre-Rhin, comme il y a un 11 novembre en France. «Je suis soulagé», renifle Emile Guet. A côté du préfet de la Charente-Maritime et de la consule d'Allemagne à Bordeaux, le représentant en France du VDK, l'organisme chargé des sépultures militaires allemandes, vient de saluer la mémoire de ces soldats et «le courage des résistants et victimes de la déportation de Saint-Julien-de-Crempse». Très épaisse minute de silence. Le vieil homme nous dit son sentiment d'avoir «retrouvé la paix».

Les dix-sept dépouilles sont celles de soldats allemands prisonniers du maquis, passés par les armes le 29 septembre 1944 dans un champ isolé malgré toutes les garanties qui leur avaient été données. Un mois plus tôt, l'armée allemande avait massacré dix-sept habitants du village. Depuis, des tonnes de silence :aucun villageois ne s'est jamais félicité de ce fait d'armes par rétorsion, resté ignoré des plus jeunes. Il a fallu cinquante-neuf ans pour que le sentiment de culpabilité finisse par l'emporter sur celui de s'être fait justice. «L'abcès est enfin crevé», a soufflé le maire de Saint-Julien-de-Crempse lors de l'exhumation à la pelleteuse des dix-sept corps, le 4 novembre.

«Bonne volonté». «Notre réconciliation est profonde, reprend la consule Gudrun Lucke-Hogaert. Mais elle reste douloureuse pour ceux qui se souviennent.» Ce dimanche 16 novembre, c'était l'européenne FrançAllemagne qui commémorait ses enfants. «C'est par des gestes de bonne volonté comme celui-là que la communauté franco-allemande peut se retrouver aujourd'hui après une guerre terrible», dira Marlène, venue de Cologne, fille du caporal-chef Johann Stenmans qui repose désormais à Berneuil.

Il y a seize cimetières comme celui de Berneuil en France pour les 240 000 soldats allemands morts pendant la Seconde Guerre. A Berneuil, ce sont les soldats morts dans le Sud-Ouest aquitain ­ par exemple les dépouilles des prisonniers morts du typhus en mai 1945 dans le camp de Saint-Médard-en-Jalles (Gironde). Et les prisonniers employés, après le conflit, au déminage des côtes de la région, déchiquetés à la tâche.

350 inconnus. Le conservateur du cimetière de Berneuil, Julien Hauser, ne tient pas de registres statistiques de la cause des décès. Il répond surtout aux familles à la recherche d'un disparu. «Des histoires comme celles de Saint-Julien-de-Crempse, médiatisées en France et en Allemagne, relancent les appels.» C'est qu'il y a encore 350 soldats inconnus à Berneuil. Son téléphone sonne un peu plus fréquemment depuis 1989. «Après la chute du mur de Berlin, explique-t-il, les ex-Allemands de l'Est ont sollicité la VDK qu'ils ne connaissaient pas jusque-là.»

Le vent redouble dans les drapeaux nationaux et européen hissés pour la cérémonie. «Ces morts doivent être les meilleurs prêtres de notre paix», conclut la consule d'Allemagne citant Albert Schweitzer. Les deux pays ne partagent plus qu'une frontière commune: celle du temps. Si aucune famille allemande n'a jamais demandé le rapatriement des dépouilles, c'est qu'une sépulture ordinaire ne dure généralement guère plus d'une vie. Le cimetière de Berneuil abrite, lui, des sépultures perpétuelles.

Je dis:
J'apprécie les mots de la consule d'Allemagne. Les actes des hommes sont parfois lamentables quand ils sont réalisés dans la violence, dans la vengeance, dans la haine.

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