mercredi 27 mars 2013

Pour les profs, l'école et les vaincus.


Charlie, journal des vaincus. Oui,Charlie qui venge les vaincus.
C'est une prouesse: ne pas être un journal du ressentiment, de l'envie tout en portant haut la cause des vaincus, dans cette société de « gagneurs », « compétiteurs », « marcheurs de l'avant», «écraseurs des autres » et « vainqueurs » divers. Et parmi les vaincus de ces vingt dernières années, les profs. Que dis-je de ces trente dernières années! La dernière fois où les parents respectèrent les profs qui relevaient la tête, c'est en 1983. au temps d'Alain Savary. Savary, Compagnon de la Libération, héros du débarquement en Provence, osa démissionner du gouvernement Guy Mollet quand Ben Bella fut arrêté. Un homme comme Savary ne souhaitait que le ministère de l'Éducation
nationale. Il voulut refonder le primaire, faire respecter la laïcité : manif des parents. Il fut désavoué par Mitterrand. Il démissionna encore.
Depuis, les profs se sont enfoncés dans la morosité, méprisés par les parents d'élèves, mal payés, mal formés, confrontés a des élèves violents - ça fait beaucoup. Dans la dialectique de la mauvaise éducation, aux deux sens du terme, celle des élèves a fait boule de neige avec celle des profs. Vincent Peillon a compris une chose: il faut refonder l'école, et, pour ça, commencer par le primaire, Pour former des élèves qui ne soient pas à 18 ans des illettrés (10 % d'illettrés complets dans la population des 18-65 ans) et, peut-être, des citoyens, c'est une bonne idée. Pour favoriser l'attention des élèves, éviter qu'ils aient des journées trop chargées, il propose de passer de quatre jours à quatre jours et demi d'enseignement. Tollé chez les enseignants. Et puis diminuer le temps des vacances. Super-tollé chez les mêmes Le seul intérêt de l'enseignement, dans ce métier
dévalorisé, c'est de ne pas enseigner. Le ministre revient donc en arrière sur les vacances mais tient bon sur les rythmes scolaires.
Les petits Français ont 926 heures de cours dans le primaire sur 86 semaines de classe. contre 805 heures pour les petits Allemands sur 40 semaines de classe. Devinez qui apprend le mieux?
Mais on comprend les enseignants: revenir le mercredi, c‘est organiser des gardes de leurs propres enfants, payer le transport et, finalement, travailler plus sans compensation financière. Difficile
d'avoir des enseignants bien formés et mal payés, et non méprisés, dans un monde où seul compte l'argent.
La gauche, ce n'est pas l'économie, c'est l'éducation. C'est le seul domaine où on lui demande de réussir. Dans le primaire, entre 6 et 10 ans, il n'est pas encore question d'  « efficacité », d'« adaptation au marché du travail »et autres sornettes « compétitives » qui permettent aux fils de riches de faire l'Ecole du Louvre et aux autres de faire chômeur. L'école de la République peut encore faire
son travail: intégrer les plus faibles et, tout simplement, leur apprendre à lire. A lire beaucoup. Les sortir quelques heures de la télé, qui les transforme par la magie de Séguéla en obèses et en crétins
analphabètes, et les faire entrer dans le monde du livre. Retrouver, en ces temps de smartphone, le miracle toujours renouvelé de la lecture. Comme le métro a changé! Il y a dix ans, tout le monde
était plongé dans son livre, aujourd'hui tout le monde pianote sur son smartphone. Et comme nul chagrin ne résiste à un morgon Marcel Lapierre ou à un bon livre, lisez L'Affaire Jean Zay. La
République assassinée, de Gérard Boulanger (Calmann-Lévy). Jean Zay, tout jeune ministre du Front populaire. Fonda le CNRS. instaura l'école obligatoire jusqu'à 14 ans. créa le Festival de Cannes, fit beaucoup de choses. Jean Zay le Juif. Élève du lycée Pothier, ami de Genevoix qui le conseilla sur la législation du droit d'auteur, Prix de lettres au concours général, journaliste, avocat. Assassiné par la milice après avoir été traîné dans la boue par l'extrême droite décomplexée. Ce livre est admirable, il raconte une autre affaire Dreylus. Et il parle du rêve républicain: l'école.
On a envie de dire que c'était facile du temps de Jean Zay. Tout était à faire. Éduquer, ouvrir à la culture (c’est Jean Zay qui lança la Cinémathèque française), au sport, aux loisirs... Aujourd'hui, le travail d’un bon ministre de l'Éducation nationale serait plutôt de fermer et protéger: protéger les élèves, les plus petits surtout, de la lèpre publicitaire, de la pseudo-information en continu, des pacotilles de la mondialisation et des bruits incessants faits par cette économie de marché qui, infecte, contamine les paroles comme une maladie. Peut-être faut-il réapprendre des poèmes par cœur ou apprendre à les faire, ces poèmes.ou des films ou des herbiers ? Ou a regarder le ciel la nuit, là où il existe encore? Offrez un dictionnaire de rimes aux petits. Il y a certainement une manière de refonder l'école.
                        Bernard Maris (Charlie-Hebdo du 30.01.2013)

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