mardi 3 mars 2009

Pwofilasyon

Article de Jean-Luc Porquet(Le Canard enchaîné» - mercredi 25 février 2009 -)

Comme il est dérangeant, ce mot créole! Comme il peine à se frayer un passage dans les médias, d'ordinaire si friands d'expressions nouvelles et imagées. La plupart de ceux qui évoquent le LKP, le collectif à l'origine de la grève illimitée en Guadeloupe, se bornent à ces initiales. Ceux qui donnent leur signification, Liyannaj Kont' Pwofitasyon, fournissent généralement cette traduction: « Collectf contre l'exploitation outrancière ». Comme s'il y avait une exploitation présentable et une autre qui vraiment exagère... Ce que veut dire pwofitasyon, on le sent, c'est bien autre chose: la description d'un système où le profit est devenu à ce point dominant qu'il écrase tout sur son passage. Pwofitasyon : même s'il rappelle à certains la « bravitude » de Ségolène, c'est, au fond, un vrai coup de génie, ce mot! A peine l'entend-on que ça saute à l'oreille: ce n'est pas seulement de la Guadeloupe qu'il parle, c'est de nous tous.
Sauf de Sarkozy évidemment: la preuve, il est quasiment le seul à avoir fait la sourde oreille, ou du moins à faire semblant de ne rien entendre de ce que dit le LKP, et ne rien voir de la grève illimitée, désormais quand il y a une grève dans ce pays elle passe inaperçue, n'est-ce pas...
Pourtant, voyez le tableau qu'on nous dresse de la situation économique de la Guadeloupe: ces « grands groupes qui étranglent le marché », cette « déréglementation tous azimuts », ces « exonérations de cotisations sociales patronales », est-ce que nous en sommes, en métropole, si éloignés ? Ces « prix scandaleux », cette « discrimination raciale à l'embauche », cette « explosion du foncier », ça ne vous dit rien? Et même cette « économie en coupe réglée », ce « 1 % de la population qui contrôle 40 % de l'économie» ?
L'écrivaine guadeloupéenne Gerty Dambury le dit: la pwofitasyon, c'est « la pérennisation d'un système de domination d'une caste sur un plus grand nombre - à savoir, osons le mot: le peuple» (1'« Huma », 23/2). Elle rappelle que la lutte du LKP est souvent caricaturée, réduite à une simple demande de 200 euros d'augmentation, histoire de mieux passer sous silence « les propositions (et non pas les simples revendications) faites par ces hommes et ces femmes sur des questions aussi diverses que l'environnement, les droits et les libertés syndicales, la culture, la production agricole, la pêche ».
Il suffit de lire le magnifique « Manifeste pour les produits de haute nécessité »(1), écrit par une dizaine d'écrivains, d'artistes et de professeurs guadeloupéens, pour s'en apercevoir: ce qui se passe à la Guadeloupe n'est pas qu'une affaire locale, exotique. Elle déborde de l'île, elle a du souffle, de l'ampleur, de l'énergie, une détermination, et un vocabulaire: « Il y a des myriades de compétences, de talents, de créativités, de folies bienfaisantes, qui se trouvent en ce moment stérilisés dans les couloirs ANPE et les camps sans barbelés du chômage structurel né du capitalisme. »

(1) On peut le lire, entre autres, sur le site Mediapart.

Jacques dit:

Et si ce mécontentement exprimé sonnait le réveil des personnes en difficulté en France métropolitaine? Et comme disait un leader du LKP ce 05 mars 2009 au matin de la signature du protocole d'accord entre État, LKP et Patronat: "Je sais qu'en Métropole une grève est prévu le 19 mars. Pour obtenir quelque chose, il faut cesser ces grèves "saute-mouton" et mener des grèves générales dans la plus grande solidarité! Nous venons de prouver qu'elles permettent de faire aboutir les revendications du peuple."

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