lundi 2 mars 2009

Violence

Plus la violence est en déclin, plus le sentiment d'insécurité s'accroit!

Historien-chercheur à l’Université de Villetaneuse-Paris XIII et visiting professor à l’université du Michigan (Etats-Unis, ROBERT MUCHEMBLED vient de publier (février 2009) Histoire de la violence aux éditions du Seuil.

« Par violence, j’entends tout acte de brutalité effectué par une personne sur un tiers, verbalement, mais surtout physiquement, pouvant entraîner la mort : torrent d’injures et de menaces, mais surtout bagarres, rixes, duels, lynchages, crimes, meurtres et assassinats, en un mot toutes les relations d’agressivité excessives et anormales entre les individus, quand il est fait usage de la force physique. J’exclus naturellement du champ de cette violence la guerre - même si elle est liée à des pulsions identiques de l’être humain et concerne la même, catégorie d’individus, majoritairement des jeunes et de sexe masculin..
La violence et l’agressivité reste majoritairement un phénomène juvénile et masculin. La baisse de la violence depuis la fin du Moyen Âge est une donnée objective.
… En Artois, par exemple aux XVIème et XVIIème siècles, il y avait des bandes organisées qui s’affrontaient de village à village, des centaines de personnes, armées de triques, de gourdins, d’outils de paysan ou même de poignards ou d’épées qui se battaient jusqu’à ce que l’une d’elle reste sur le carreau. Ceci était banal dans les relations sociales de l’époque même si l’église et le pouvoir royal réprouvaient ce genre de pratique. J’ai trouvé jusqu’à 3 500 pardons royaux accordés à des meurtriers qu’il paraissait presque naturel de gracier puisque telle ou telle bonne raison permettait de minorer leur acte, tant la violence semblait une chose ordinaire…

L’homicide a toujours été un crime réprouvé (« Tu ne tueras point. »). Mais cela n’a jamais empêché les individus de se battre et de se trucider… La violence révèle la nature prédatrice et barbare de l’être humain. Le meurtre était considéré comme une affaire privée entre les individus, les familles ou les clans. On tuait, on se vengeait et ce cycle infernal pouvait se prolonger sur plusieurs générations. La justice était peu intéressée par ce genre d’affaires privées, trop nombreuses, trop difficiles à traiter, où les coupables étaient protégés par une communauté tout entière ou bien s’étaient enfuis.
En France ce n’est qu’à partir de la moitié du XVIème siècle qu’ a été défini l’homicide et que l’on condamne systématiquement à mort les assassins et meurtriers. Æ partir de ce moment là, en l’espace de quatre siècles, le nombre de crimes de sang a été divisé par cent.
Ce qui a surtout d’enrayer la violence, c’est « la civilisation des mœurs » (Norbert Élias) apparue au XVIIIème, avec : interdiction du duel entre gentilshommes, désir du contrôle de soi, en particulier des pulsions agressives et destructrices dans l’aristocratie, l’arrivée d’un nouveau langage et de nouvelles conduites, (ne rien laisser paraître, affecter de l’indifférence, s’exprimer noblement et de manière raffinée, …). Ces mœurs de la cour se sont étendues à la bourgeoisie puis aux classes populaires pendant tout le XIXème.
Le sentiment d’insécurité n’est jamais lié à la réalité ! Dans notre monde moderne, d’où la violence est à peu près éradiquée, c’est même devenu une caricature. Bien sûr, dans le métro, vous pouvez être agressé verbalement ou physiquement par des individus qui en veulent à votre porte monnaie, qui vous bousculent et vous crachent dessus ou vous rouent de coups. Mais ce phénomène est complètement marginal, statistiqueme,nt très faible. Un siècle plus tôt, vers les années 18430-1840, entre les périodes révolutionnaires, là, oui, il y avait de l’insécurité. Le bourgeois ne sortait qu’avec sa canne-épée et aucune femme n’était dehors la nuit… N’en déplaise à toutes les statistiques du monde et à tous les journalistes qui montent régulièrement en épingle le moindre fait divers, le taux de criminalité s’est à peu près stabilisé. Pourtant il est amusant de constater que dès que la violence disparaît (Belle Époque, tournant du XXème), une vaste littérature populaire, ancêtre de nos tabloïds modernes et de nos médias de masse actuels se chargent d’un rôle presque cathartique (Fantômas, Judex…). Le roman policier naît. Pis, on invente avec frénésie un danger imaginaire : les fameux « apaches », les charcutiers de Belleville ou les bouchers de la Villette, ces marginaux assoiffés de sang… toujours prêts à trucider le bourgeois…. On a toujours besoin d’agiter des épouvantails et de faire peur.
Il est vrai que dans les dernières décennies il y a une relative remontée de violence en Occident, mais il est trop tôt pour parler de tendance profonde. Mais une chose est sûre, tout ce que l’on range derrière les mots « insécurité », « quartiers », « banlieue », « jeunes » etc. est sans commune mesure avec ce qui se passait il y a ne serait-ce qu’un siècle.
Hormis dans le banditisme et le milieu de la drogue, dans les bandes organisées on se chicorne rarement à l’arme blanche ou au fusil de chasse. En tout cas, on ne relève que rarement des morts sur le carreau.

Les risques de violence sont inégaux selon les régions du globe : on a aujourd’hui soixante fois moins de « chances » de mourir trucidé au Japon ou au Royaume Uni qu’en Colombie. Les îlots de sécurité restent les pays les plus riches et les plus industrialisés…
Notre civilisation, globalement apaisée, hédoniste et riche, arrivera-t-elle à sublimer ou à canaliser les pulsions brutales de sa jeunesse prise dans l’éternel conflit des générations
Depuis l’aube des temps, maintenant qu’il n’y a plus de conflit ni de guerre sur notre sol ? Il faudrait éviter que ces débordements n’envahissent les marges déshéritées des grandes métropoles perpétuellement au bord de l’explosion. Ce sera sans doute le grand défi du XXIème siècle."

(selon Télérama du 25/02/2009)

Jacques dit:


Voici une étude poussée, vérifiée et argumentée pour tordre le cou à des idées reçues, des mensonges colportés par une volonté psychique de faire (ou de se faire) peur!
Science et conscience...
Mais, même cet article, même ces preuves n'ôteront pas les certitudes malsaines d'un bon nombre d'individus et encore moins leur besoin de se sentir oppressés, cernés, menacés...

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