mercredi 9 octobre 2013

Migrants

Bernard Maris publie ce 09/10/2013, dans Charlie-Hebdo, un papier très virulent à la suite de l'épouvantable drame et la noyade de centaines de migrants aux abords de l'île de Lampedusa.


« NUMERO 57,FEMME, ENVIRON VINGT ANS »

Espoir du migrant: échapper à la pauvreté, vivre une vie rêvée dans les bidonvilles a travers la musique des paraboles. Quelle dose de courage et de désespoir il faut pour dépenser son maigre patrimoine et tenter le coup du passage sur un radeau! Et tous ces types qui, au nord, nous bassi-
nent avec « l’esprit d’entreprise »... Où est-il, 1’esprit d’entreprise? Chez les Européens épais comme des moines assis sur leur graisse et leur tas d’or, entourés de gardes-côtes et de flics, ou
chez ces gars qui prennent par la main femmes enceintes et enfants et s’en vont sur la mer mauvaise? Qui sont les courageux? Ces super-Roms, ces clochards magnifiques, ces Somaliens et ces Erythréens qui voguent vers Lampedusa, ou les usuriers qui ont ruiné l’Afrique, détruit les économies vivrières, pillé les ressources, fomenté des plans d’ajustement structurels, soutenu des régimes corrompus, détruit des forêts et des espèces superbes comme ces abrutis de Japonais qui commandent des cornes de rhinocéros parce qu’ils ne bandent plus, avec la bénédiction des Cochons du Désert qui placent leurs revenus du pétrole en achetant des palaces à Paris? Ou installent des pistes de ski sur leurs dunes?
Au fond, chasser le Rom, c’est ouvrir le feu sur les radeaux de la Méduse s’efforçant d'accoster en Europe. C’est enfoncer la tête des types en train de se noyer. On pleure en France sur tous ces
cadavres de quinze ou vingt ans, mais en même temps, on cogne sur les plus faibles des faibles. Il existe un délit de complicité d'immigration clandestine; les pêcheurs autour de Lampedusa ont
interdiction de porter secours aux migrants clandestins... Mais quel monde! Quel beau monde libéral! Car le libéralisme économique dont Monsieur Barroso nous rebat les oreilles depuis douze ans de pantouflage à la Commission européenne promeut la libre circulation de l’argent et des pacotilles, mais celle des hommes, ah non! surtout pas! Quel monde, où la liberté appartient aux
marchandises et au fric et est interdite aux hommes! Il paraît que ce monsieur Barroso va se rendre sur l’île de Lampedusa... Quoi faire‘? Compter les cadavres? Hocher la tête devant ce cadavre
« femme n° 57 , environ 20 ans » ? Prêcher les réformes structurelles du marché du travail. Demander de rééquilibrer les budgets pour payer les intérêts aux personnes de son espèce? Prier? Communier peut-être? Non, il va simplement dire: « Il faut faire quelque chose. »
« La prochaine fois, on vous apporte les morts au Parlement », criaient ces habitants de Lampedusa aux parlementaires italiens. Mais, pauvres gens del’île, pourquoi porter des cadavres devant des cadavres? Ne voyez-vous pas que tous ces ardents libéraux et entrepreneurs et accumulateurs d’argent de Rome, de Bruxelles ou de Strasbourg sont déjà morts? Que leur Europe est un cimetière? Allons, n’exagérons pas: une maison de retraite, avec majorité de grabataires. Tandis que l'Amérique bloque un budget pour que les plus pauvres n’aient surtout pas accès aux soins médicaux, l’Europe célèbre l& joie de vivre dans l'équilibre budgétaire et les
bijoutiers qui flinguent les voleurs à la tire. Tandis que les classes inférieures se noyaient, les
premières classes embarquées dans les canots de sauvetage du Titanic pleuraient à chaudes larmes. Alors, devant le drame de Lampedusa, tout sauf des larmes. Et là, M. Barroso ayant digéré son ragoût arrosé de bourgogne dans un bon hôtel de Lampedusa, essuyant sa bouche, tapotant sa bedaine, nous dit : « Mais le libre-échange crée des emplois ! Le libre-échange sauve l'Afrique. » Mais, bien sûr, c’est exactement ce que pensait « femme n° 57, environ 20 ans », une vraie femme, cher Monsieur de la Commission européenne, avec tout ce qui fait une femme, une femme qui a dû sourire au vent de la mer et se serrer contre ses compagnons avant que le bateau prenne feu. Messieurs les marchands de la Commission, les ergoteurs de « l'efficacité économique » et de «l’esprit d'entreprise qui crée des emplois », n’oubliez pas: numéro 57. Dans vos réunions d’ectoplasmes des pays riches pour habitants trop gras, souvenez-vous un instant : numéro 57, femme, environ vingt ans. Le bel âge, non? 

Jacques ajoutera : "La "classe politique" et "les gens" s'émeuvent, tout simplement parce que les morts ont été dénombrés lors du même naufrage."

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