mardi 24 juin 2014

Surveillance de la Presse


Aux adorateurs du Grand Saint Charles.


Le Journal « bête et méchant », L'HEBDO hara-kiri, s'est fait « interdire à l'affichage » par le ministre de l'intérieur (Marcellin). Cela a amené la fin de ce journal.
Il faut savoir qu'un journal non exposé voit son chiffre de vente dégringoler immédiatement de 75 %.
Cavanna a écrit les phrases qui suivent, rapportées dans le supplément de Charlie-Hebdo intitulé François Cavanna, paru le 5 février 2014, après son décès.
...« Tiens, un peu d'histoire : initialement , cette loi avait vraiment pour but de surveiller les publications « destinées à la jeunesse ». C'était en 1949. Elle fonctionna dans sa petite spécificité jusqu'en 1958, l'année où Charles le Sauveur, s'étant laissé faire une douce violence, accepta de sacrifier sa paisible retraite pour la tâche que l'on sait. Il avait besoin d'une bonne muselière à journaux prête à servir pour le cas où. On n'est jamais trop prudent. Mais, quelque chose de discret, hein, pas de vagues. On chercha donc dans le bric-à-brac laissé par la IVème, et un bricoleur de génie exhuma de là-dedans la loi sur les publications pour la jeunesse. Bien tripatouillée, elle devint l'instrument de mort que nous avons eu l'honneur de vous présenter. C'était en 1959.Cela passa inaperçu et c'était bien ce que désiraient le Sauveur et sa Cour. Quelques vagues additifs à une loi sur les journaux d'enfants, qui s'en fût soucié? Passez muscade.
Lisez le texte de cette loi. C'est un chef-d’œuvre de concoction papelarde, un entrelacs d'ambiguïtés, la Neuvième Symphonie de l'hypocrisie. Ah, les vaches, les sournois ! Vous rendez-vous compte, bonnes gens et vous, journalistes superbes, que la Presse française est sous le régime des journaux pour enfants ? Les journaux « normaux » sont Mickey, Spirou et Pif le Chien ! Tout journal non spécialement conçu pour les enfants est suspect et tout juste toléré. Une simple décision du ministre de l'Intérieur (c'est-à-dire du ministre de la Police), décision dont il n'a à rendre compte à personne, qu'il n'a pas à motiver et contre laquelle il n'y a aucun recours, peut, en un instant, faire cesser de vivre n'importe quel journal. La prétendue « logique » de cette loi puante de scélératesse conduit à ceci : tout journal qui n'est pas un journal pour enfants risque de tomber sous les yeux d'un enfant. Il devrait donc être interdit à l'affichage. Journalistes, vous êtes tous des interdits en sursis. » …

...Et en 1959, de Gaulle - qui venait de prendre le pouvoir avec le coup d’État de 1958 - a bidouillé une loi. La loi de surveillance des publications destinées à la jeunesse est devenue une loi de surveillance des publications supposées être dangereuses pour la jeunesse. Si bien que la loi s’appliquait à toute la presse. En réalité cette loi était une loi de coup d’État pour pouvoir juguler toute la presse en cas de besoin : on les laisse mettre du cul et de la violence tant qu’ils veulent et un beau jour on leur dit "On vous interdit de continuer !". C’était une interdiction à l’affichage : il était interdit de vendre publiquement la publication et de lui faire de la publicité. La seule solution était de la vendre sous le manteau. Et toute tentative de refaire le journal était interdite, même en changeant le titre et le format. C’est proprement l’assassinat d’un journal. Et cette loi est toujours en vigueur aujourd’hui *!
La couverture "Bal Tragique à Colombey" ne pouvait pas donner prise à cette interdiction et il n’y avait ni injure, ni diffamation, ni divulgation d’un secret d’État... C’était peut-être une faute de goût, mais rien de plus ! Alors ils ont épluché un an de publication et ils ont trouvé un enfant avec une quéquette à l’air dans un dessin de Cabu - rien de pornographique - et des gens qui s’embrassaient dans un dessin de Willem. Ça a été le prétexte à l’interdiction à l’affichage. Finalement rien à voir avec le titre "Bal Tragique...".
(http://ecorev.org/spip.php?article458)




* Loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse.
Version consolidée au 19 mai 2011
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000878175

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