lundi 11 février 2008

Histoire du vivre ensemble français

Parle à mon espérance, ma laïcité est malade.
Par PHILIPPE VAL le Mercredi 23 janvier 2008


Les vertus théologales sont au nombre de trois. La foi, l'espérance, la charité. Elles sont au fondement même de la doctrine chrétienne. Elles apparaissent au tout début du christianisme, dans une épître de Paul aux Corinthiens. On peut dire que « foi, espérance, charité» est la devise du christianisme. Il ne s'agit pas ici de porter un jugement de valeur sur ces vertus, mais de noter leur place et leur origine dans notre histoire.
Lorsque la Révolution française vient renverser la monarchie de droit divin, une sorte de nécessité historique plus ou moins consciente commande que l'avènement des temps nouveaux s'accompagne d'une nouvelle devise. L'autre devise, celle du christianisme, dont la divinité consacrait la royauté, doit disparaître, supplantée, frappée de caducité. C'est ainsi qu'aux vertus théologales de foi, d'espérance et de charité ont répondu les vertus républicaines de liberté, d'égalité et de fraternité. Dès le mois de décembre 1790, ces trois mots assemblés apparaissent pour la première fois dans un discours de Robespierre. La devise de la République n'est pas arrivée jusqu'à nous sans accidents. De nombreuses fois on a voulu s'en débarrasser au profit d'un retour opportun des vertus théologales. L'Empire l'a interdite. La Restauration l'a interdite. Le second Empire l'a interdite. Le régime de Vichy l'a interdite. De tels ennemis honorent.

Jusqu'à maintenant, et quelles que soient leurs convictions religieuses, aucun des présidents de la Ve République ne s'est permis d'inciter le peuple à se rapprocher de Dieu. Nicolas Sarkozy est le premier à le faire, et ce faisant, non seulement il brise un tabou, mais il renie la longue lignée des acteurs de l'histoire qui ont bâti, parfois au prix de leur vie, la République qu'il préside. Leur premier combat a été d'arracher le pouvoir temporel aux religieux, afin de le rendre à la raison humaine. Lorsque Sarkozy déclare, devant un parterre de prélats, qu'en ce qui concerne la connaissance du bien et du mal jamais l'instituteur ne remplacera le prêtre ou le pasteur il ne parle pas pour lui, il parle pour les pauvres cons qui votent pour lui. Tout le monde a le droit de dire cela, sauf le président de la République. C'est, si près de Saint-Pierre, une surenchère dans le reniement.

Quand Sarkozy exalte l'espérance, qui est celle d'une vie éternelle après celle-ci, qui est plutôt duraille, il se fout du monde. Un président de la République qui substitue une vertu théologale à la devise de la République, il y a de quoi faire se retourner dans leurs tombes tous ceux qui; de la Révolution à la Résistance, se sont battus pour le droit des vivants, et non pour le salut des morts qu'on a toujours cherché à lui substituer.
Sarkozy citoyen a parfaitement le droit de parler de l'espérance, mais elle est totalement incompatible avec le Sarkozy président..
Ainsi, la foi serait supérieure à cette liberté dont les instituteurs sont coupables d'apporter le goût et l'usage aux enfants. L'espérance serait supérieure à l'égalité de droit. La charité serait supérieure à la fraternité. Inutile de dire qu'en redonnant aux responsables religieux le rôle de « directeur des ressources humaines» on s'engouffre fatalement dans des rivalités qui feront de saint Barthélemy le patron du vivre ensemble. On voit mieux maintenant le projet de société de Nicolas Sarkozy. Il tient dans une vieille maxime rénovée par la nature abrasive du temps présent: chacun pour soi et Dieu pour tous.

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